Enquête coordonnée, réalisée et écrite par Elisa Amaru
pour Le Mot et la Chose.
(…) L’art contemporain sur la toile de demain.
Galry : Stéphanie Moran, galeriste a(r)typique ! En préambule dès l’entrée, le sous-titre affiche la couleur : Everything but a gallery. Tout sauf une galerie. Original, frondeur, culotté, le concept de Galry est simple. Côté face, la galerie : mettre l’art contemporain à la portée du plus grand nombre. Côté pile, l’agence : proposer aux professionnels une offre globale de formation et d’accompagnement axée art et projets créatifs dans un but moteur. Et du culot, il en faut à sa fondatrice, Stéphanie Moran, pour faire se croiser artistes, collectionneurs et entreprises au cœur de son vaste projet.
Pensé dans un objectif évolutif, Galry propose de décloisonner le champ artistique de ses applications et jouissances pratiques. Arracher les étiquettes qui désignent l’intellectuel du populaire. Décomplexer l’acte d’achat d’une œuvre d’art. Dans le même temps, faciliter l’accession des entreprises au langage et à la petite musique des sphères créatives pour booster leur propre dynamisme interne. Telles sont les missions que Stéphanie Moran se fait fort de concrétiser. « Je suis d’un naturel plutôt optimiste, dit-elle. Ce que je cherche, à travers Galry, c’est véhiculer des valeurs positives. Mes choix reflètent cet état d’esprit, avec des artistes, français ou internationaux, multi-supports, multi-techniques, pour brosser un spectre créatif assez large, mais avec toujours à l’esprit cette notion esthétique. Une certaine notion du beau, en fait, qui me tient à cœur. »
Peintres, sculpteurs, photographes, street artists incarnent les brins d’ADN multiples de Galry. Pour appréhender cet éclatement pluriel des compétences représentées, la structure « place » ses artistes à l’extérieur, aussi bien que sur ses murs. Partenariats, expositions hors-les-murs (« Le Cube », installation au Jardin du Luxembourg ; « Au fil du temps », expo de Stéphanie Guglielmetti au Bon Marché Rive Gauche, etc.) sont monnaie courante en sensibilisant public et collectivités. Loin de sacraliser l’art contemporain comme d’autres des idoles contrecollées, Galry récupère un vocabulaire d’actualité pour faire interagir concrètement les artistes avec le monde d’aujourd’hui.
« Quand on en vient à l’art contemporain, les gens éprouvent une sorte d’appréhension, reprend Stéphanie Moran. Mon approche avec Galry consiste à dédramatiser, que chacun puisse s’approprier un bout d’art sans forcément débourser une fortune ni se sentir frustré, complexé par rapport à un domaine qu’il croit très intellectuel et trop loin de ses préoccupations quotidiennes. »
Avouons-le, dans le pré carré de l’art à Paris, Stéphanie Moran et sa structure font figure de race mutante. « Je suis partie de l’art comme point principal en me disant qu’il y avait plusieurs applications possibles : les collectionneurs, les amateurs d’art, mais aussi le monde de l’entreprise. » Elle continue : « Une grande partie de mon travail consiste à effectuer de la veille. Quand on en vient aux entreprises, les champs dans lesquels l’art peut s’inscrire sont vraiment nombreux. Elles peuvent être mécènes, valorisant ainsi locaux et salariés. Nous leur proposons aussi de l’évènementiel, de la formation en intégrant l’art dans leurs objectifs. »
En découlent des missions sur le terrain : conférence et performancelive autour de l’acte de création devant 500 managers d’Orange, intervention sur le thème de la photo pour Bouygues Energie, etc. « L’atelier Bouygues Energie par exemple, explique Stéphanie Moran. Nous nous y sommes rendus avec une photographe, Karine Paoli. Elle y a raconté son parcours, son inspiration, échangé avec l’équipe et réalisé un shooting puisque l’atelier était axé « cohésion d’équipe ». Ce qui s’inscrit pile dans l’interaction avec l’art que nous concevons pour des marques ou des structures en recherche de liens à tisser, soit avec leur staff, leurs équipes managériales, soit en direction du public auquel leurs produits s’adressent. » Le galeriste dans le miroir du pédagogue ? « Clairement ! lâche Stéphanie Moran. Le monde de l’entreprise a des attentes, des besoins, des contraintes ; les artistes ont également les leurs. Il est normal que ces deux univers a priori opposés se rencontrent et s’apportent mutuellement ! Mais tout, ou presque, reste à faire…»
Un travail d’éducation de longue haleine. « En France, particuliers et professionnels sont parfois réticents quand on parle d’art, renchérit-elle. Le mot fait peur. C’est curieux, mais c’est un frein chez certains, on le sent. Pourtant, l’art véhicule une belle image, de beaux projets, des idéaux. Alors pourquoi cette réserve ? » De fait, certaines grandes entreprises avec fondation, l’industrie du luxe en particulier, ont déjà fait de l’art une valeur ajoutée indissociable de leur image. Un élitisme décomplexé qui a bonne presse partout ailleurs et qui, au pays de l’exception culturelle, effraie.
Pour combien de temps encore ? « Je crois que nous ne somme qu’au début de ce qu’une forme de synergie entre art, design et monde de l’entreprise peuvent générer, positive Stéphanie Moran. On voit les applications concrètes : packagings, flaconnages, élaboration de marchandising, de vitrines, PLV, etc. A partir du moment où l’artiste est choisi pour les bonnes raisons, en cohérence avec l’univers d’une marque, pourquoi s’en priver ? À Galry, nous partons de la compréhension de l’entreprise, de son positionnement, de ses valeurs pour mettre en face l’artiste qui correspond au mieux. » Et de rassurer : « pour moi, c’est une quête de sens, pas du produit. C’est ma priorité dans mon travail : faire jaillir du sens. »
Une vision intelligente et accessible d’un art pour tous, non dénuée d’éthique. Stéphanie Moran confie : « récemment, je me suis aperçue que dans mes choix de représenter tel ou tel artiste, la notion du recyclable avait une grande place. Jean-Jacques Bidan, Jacques Blézot, Gérald Pestmal, Franck Duval sont des artistes qui utilisent des matériaux recyclés comme le carton, le bois, le métal… » Obsédée par le temps et la précision, la sculptrice Stéphanie Guglielmetti use de composants horlogers épars et chinés pour assembler des œuvres fascinantes et complexes, à la lisière du réel et de la mémoire.
Journaliste et photographe, Françoise Gaujour réalise des clichés à la limite de la fresque où l’œil se perd en ombre, pourchasse le sujet qui se distord au loin. Armée de pochoirs, feutres et peinture, Marie Piselli s’invente un langage archétypal et ultra-graphique en bordure de l’enfance via sculptures, tableaux, meubles ou installations rappelant de charmants monstres. Autant d’écritures de l’art contemporain que Stéphanie Moran encourage à se reproduire au sein de Galry. Sa dernière expo de Marie Piselli se nommait d’ailleurs…ADN !
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